PHAREL

André PHAREL, Photographe

Quand André part dans la nature pour prendre des photos, il ne photographie presque pas. Presque jamais. Il s’enfonce dans les fourrés et, dans une quasi immobilité, il laisse son regard se balancer de droite et de gauche, d’avant en arrière, très longuement, dans une gestuelle d’une extrême lenteur, comme hypnotique. Parfois il la trouve cette beauté saisissante, née d’un moment d’équilibre parfait où seul le regard peut se poser.
Cette image, issue de ce tête à tête avec la nature, silencieux, profondément respectueux, devient le témoignage d’une expérience de sa présence au monde et c’est sans doute pour cela que ces photos se contemplent plus que ce qu’elles ne se regardent.

André a passé son enfance au bord de la Sorgue, fasciné par sa mouvance et sa limpidité. Cette attirance en est devenue une aspiration au sens vertigineux du terme : lorsqu’on regarde cette rivière, ses trous d’eau, la vision périphérique est oubliée, une vision de la profondeur surgit et l’on perd pied. C’est une vision de la concentration, celle où le monde se condense, disparaît pour mieux participer, car d’une manière plus intime, à ce nouvel univers.
Les réflexions dans un jardin sont certainement nées de cette mémoire. André y cherche un reflet – ou peut-être une transparence- qui sera comme un trou d’eau. Se réveille alors un monde empli d’échos et de profondeurs où rien n’appartient au hasard, où la plus petite goutte d’eau est vivante et chargée de la vibration de l’image toute entière. C’est un monde qui n’est pas abstrait mais proche de ce qui en fait sa quintessence. Si proche que l’on est aux confins de l’imaginaire. Et ces images sont celles d’un univers devenu aussitôt impossible, car elles dévoilent une vérité qui ne peut être réelle… alors, elles sont un peu flottantes, comme quelque peu mal assurées, et pourtant si justes, si présentes.

Un détail vient d’absorber André. André aime l’insignifiant. L’insignifiant est libre de tout livrer car personne ne lui a jamais rien demandé. Voilà ce qu’il est venu trouver dans « le refuge d’ocre » et ce qu’il continue à chercher dans les « autres bosquets ».

Ainsi, les lieux qu’il choisit désormais sont sans majesté particulière, ce sont des petits espaces humbles, comme des soupirs dans la grande partition du monde. Témoignant d’un instant, qui écoulé se fait annonciateur d’autres, André provoque des rencontres et tisse des liens presque charnels entre nature, vie, art et esprit. « …car, dans la nature tout est déjà installé. C’est sa discrétion qui étonne. Rien n’est facile pour notre regard humain, incapable de voir tout à la fois…la brindille du premier plan et la feuille plus loin qui vibre dans la lumière. » Et pourtant…c’est cette correspondance entre les deux, ainsi que l’espace qui les réunit qui va révéler l’instant parfait de l’équilibre. Pour ces rencontres, il attend qu’une lumière –ou justement son absence- révèle le rayonnement intérieur du monde qu’il a choisi, car c’est à ce moment-là que l’on peut comprendre intensément une couleur, une vibration…et quelque chose de l’esprit du lieu.

Parce que si le vrai regard, le regard juste est, comme le dit Francis Ponge, « le retour de l’esprit aux choses », il ne peut l’être que lorsque l’esprit retourne à ces choses d’une façon qui leur convienne, qui leur soit acceptable. Et cela n’est possible, que quand elles « sont décrites de leur propre point de vue. » Alors, cette recherche conduit vers une forme d’effacement de soi, seule voie pour s’intégrer à ce petit espace, pour en connaître la quintessence, pour y reconnaître ce qu’il recèle de merveilleux, de sacré.

Ordonner le chaos par le simple regard, y révéler son point d’équilibre, témoigner de ce point ultime avant que tout ne rebascule, de la tension extrême de ce moment…dans l’espoir de se trouver soudain saisi, devant la Beauté devenue évidence, témoin d’un clin d’œil de la création.

Regarder ce qui est juste là, pour être au plus juste avec soi-même, pour être à sa place. Dans cette démarche, André se place loin des sophistications mentales, déjà par la sobriété des moyens qu’il utilise, et par cette quête de la vision première; cette vision qui, débarrassée de nos constructions intellectuelles, peut rendre le sensible à la raison, l’invisible au visible, le spirituel au mental. Celle qui permet à l’art de reprendre sa puissance originelle, celle qui ouvre au sublime.

Anne Pharel